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Cher lecteur,

 

J’avais peur de deux choses avant le départ du triathlon Ironman de Nice :

-me faire noyer par la masse des 2500 nageurs

-subir l’intense chaleur, la déshydratation, et connaitre à nouveau des crampes

 

J’avais deux objectifs au départ :

-faire un marathon régulier, sans crampes

-faire le meilleur temps possible, avec un scénario optimiste à 10h, un scénario moyen à 10h30 et un scénario pessimiste à 12h. Le scénario optimiste pouvait me mettre à portée d’une qualification pour l’Ironman d’Hawaii.

 

Il fallait resituer ce contexte pour comprendre l’état d’esprit dans lequel je me suis lancé sur ce triathlon, dans un mélange d’appréhension, d’excitation et d’ambition.

 

Le samedi 24 juin, je me suis levé à 4 heures. Le temps de prendre mon petit déjeuner habituel (céréales type muesli et lait de soja) complété par un thé pour l’effet stimulant de la caféine, et je quittais l’hôtel à 4h45. Plus d’une heure avant le départ, la promenade des anglais est déjà bien animée. Nombreux coureurs et nombreux supporters se préparent. Je vais déposer mes sacs de ravitaillement pour la course à pied et le vélo, comprenant chacun 2 compotes. Puis j’enfile ma combinaison et je me rends sur la plage.

 

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Attente du départ sur la plage.

 

23°C dans l’eau. Au-delà de 24°C, la combinaison est interdite ! Je peux faire quelques dizaines de mètre en échauffement, puis je viens me placer en première ligne. A 6h25, le départ des professionnels est donné. Ils sont 30 et ne se bousculent pas beaucoup. A partir de 6h28, l’agitation commence à monter. Alors que le départ devait être donné sur la plage, certains ont déjà de l’eau au genou. Je m’avance également légèrement pour éviter le petit mètre avec une forte pente à dévaler sur les galets avant de rentrer dans l’eau.

 

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Je suis en première ligne.    

 

Le départ est donné. Je sprint sur 50 mètres pour éviter de me faire nager dessus. Ca bouscule tout de même beaucoup. Je suis plusieurs fois pris en étau entre des nageurs. Au bout de quelques centaines de mètres, la concentration est toujours aussi forte, mais on commence à nager plus sereinement. J’ai trop de buée dans les lunettes pour distinguer les bouées (la première est à plus d’1 km du rivage…). Je me contente donc de suivre la masse. Cela m’évite de lever la tête et perdre ainsi du temps, et ça me permet de rester dans l’aspiration des autres nageurs.

 

Je me sens assez bien. Le soleil qui se lève derrière nous crée une ambiance étrange.

 

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Même après 20 mintues, le peloton reste compact.

 

Après une première boucle de 2400 mètres, nous revenons sur la plage pour une « sortie à l’australienne ». Les bénévoles m’aident à me lever en sortant de l’eau, et je cours sur la vingtaine de mètres de plage avant de me jeter de l’autre côté. Je retrouve de bons pieds à suivre pour les 1400 mètres restants. J’essaie même d’accélérer un peu. Il est difficile de savoir si on est dans la bonne allure, mais mes sensations me laissent penser que je suis bien positionné. En outre, tous les nageurs autour de moi battent des pieds avec énergie, signe qu’ils sont plutôt de bon nageur. Pour ma part, j’économise mes jambes. Au retour sur la plage, j’aperçois le chrono : 1h05. Le même temps qu’à Embrun. Je suis déçu, j’espérais faire bien mieux, même si le parcours est un peu plus long à Nice. Je ne comprendrai qu’après la course que j’ai en fait nagé en 1h00, puisque le compteur avait été déclenché au départ des pros.

 

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Sortie de l'eau.

 

Je fais une bonne transition, je traverse le parc en courant à un bon rythme, et monte à vélo devant les supporters du club. Je mets quelques secondes à comprendre d’où vient l’inquiétant claquement périodique sur le vélo : l’aimant de la roue touche le récepteur du compteur… Je m’arrête après quelques dizaines de mètres pour régler le problème.

 

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Sac "bike" récupéré, je cours vers les chaises pour me changer.

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Départ à vélo.

 

Dans les premiers kilomètres, pour sortir de Nice, j’ai le sentiment de ne pas faire d’efforts mais je roule à près de 40 km/h de moyenne ! Je remonte quelques concurrents et je perds quelques places sans m’en préoccuper : la course va être très longue. La première difficulté intervient après 20 km. 500 mètres à 10%. Je gère tranquillement au contraire de quelques excités qui commencent à tout donner. Une montée régulière suit jusqu’à un long passage de corniche, alternant petites montées et petites descentes.

 

Dans ces portions, les arbitres sont partout ! Dans le sens de la course ou à contre-sens, arrêtés ou à moto. Et ils sifflent et menacent régulièrement lorsqu’ils estiment les règles transgressées. Je suis prudent mais je me fais réprimander à l’occasion d’un virage coupé.

 

A ce moment, je suis avec plusieurs coureurs de ma catégorie. Quelques noms connus m’indiquent que je suis bien classé. Je double en outre de nombreuses professionnelles, donc Alexandra Louison, vainqueur du prestigieux Sardines Titus Triathlon de Cassis. En débutant la montée du col de l’Ecre, j’ai même la surprise de doubler un professionnel, qui de doute évidence ne se met pas dans le rouge.

 

Au moment de commencer cette ascension, je suis à plus de 34 km/h de moyenne depuis le départ, en 55 km, et alors que nous sommes déjà 300 ou 400 mètres au dessus du niveau de la mer. Je monte le col de l’Ecre à un bon rythme mais loin de ma vitesse maximale. Le soleil commence à taper. Il n’est pourtant que 9 heures…

 

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2ème partie du col de l'Ecre.

 

Au sommet, nous en sommes à 70 km. J’ai 2h20 de vélo à ma montre. Cette moyenne de 30 km/h est excellente pour moi, alors que la principale difficulté est passée et qu’il reste de longues descentes sur le parcours. Par ailleurs, la densité de coureur sur la route s’est considérablement réduite. Je prends dans mes poches mes deux compotes et j’enchaîne pour la portion plate sur le plateau. Dans ce long enchaînement de petites côtes et de faux plats descendants, je ne parviens pas à trouver une bonne position sur mon prolongateur et je suis contraint de faire des mouvements pour me détendre régulièrement. Fatalement, de bons rouleurs me doublent. Certains, d’ailleurs, dans cette portion moins bien couverte par les arbitres, ne se privent pas de drafter allègrement !

 

De retour à 700 mètres d’altitude, nous sommes au pied des 8 km de la côte de Saint Pons. Je reprends petit à petit une bonne partie des coureurs qui m’avaient doublé sur le plat. Puis je me calme pour ne pas puiser dans mes réserves. Derrière le sommet de la côte se trouve un aller-retour de 5 km sur une portion plate. Je suis alors dans un groupe de coureurs dense et rapide. Chacun laisse 2 ou 3 mètres d’écart avec son prédécesseur. Suffisant pour bénéficier des effets de l’aspiration à 40 km/h, et suffisant pour laisser penser qu’on est de bonne foi si un arbitre apparaît. Je cède à la tentation et profite de ce répit bien agréable pour mettre les mains en haut du cintre et me détendre le dos. A ce moment, un spectateur m’indique que je suis 83ème. C’est surprenant, au point que je me demande si ce ne serait pas plutôt 183ème

 

Une dernière montée sélective dans Coursegoules éclate ce petit groupe, puis la longue et roulante descente débute. Encore une fois, je souffre dans ma position et je laisse échapper plusieurs places. Arrivés dans la vallée, il nous reste un peu plus de 20 km plats jusqu’au parc à vélo. Je calcule que je suis au moins sur les bases de 5h30 de vélo, c'est-à-dire sur les bases de mon scénario le plus optimiste. Je décide de ralentir mon allure pour récupérer un peu avant le marathon. J’arrive seul dans le parc à vélo. 5h22. Excellent. Alors que je pensais rattraper quelques partenaires de club, meilleurs nageurs que moi, et me faire rattraper à vélo par les meilleurs cyclistes, je réalise que je suis probablement en tête du club depuis la natation.

 

Mais en descendant du vélo, alors que je me sens globalement bien, je réalise que mes jambes sont très dures. Je manque de souplesse. Lors de la transition, je choisis donc de me changer complètement, short et t-shirt pour plus de confort, et de mettre mes chaussures les plus amorties. Je commence à envisager un marathon plus difficile que prévu, 4 longs allers-retours sur la "Prom" !

 

La promenade est encore assez peu fréquentée, et les quelques coureurs que je croise ou qui me doublent dans les premiers kilomètres sont très rapides, et parmi les premiers de la course. Je pars déjà à moins de 12 km/h, sous les encouragements des nombreux et très actifs supporters du club. Je croise quelques coéquipiers qui arrivent à vélo.

 

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Fin du premier tour à pied.

Difficile de décrire ce marathon, sur lequel j’ai en fait très peu de souvenirs. Je suis en particulier incapable de faire la différence entre mes quelques souvenirs du premier, du second ou du troisième tour. Je me souviens de m’être fait doubler au 2ème, 3ème puis 4ème tour par mes coéquipiers. Je me souviens de mes temps de passage au tour : 57min, 1h03, 1h07 et 1h16. Je me souviens de m’être arrêté à chaque ravitaillement à partir du 2ème pour boire un verre de coca, me jeter un ou deux verres d’eau sur la tête. Je me souviens de mon ravitaillement "perso" du 2ème tour où j'ai récupéré mes deux compotes. Je me souviens de mes passages systématiques sous les douches, et malgré ça de la lourde chaleur, aggravée par l’absence totale d’ombre.

 

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Début du 3ème tour. Regard dans le vague.

 

Je me souviens de mon incapacité totale à accélérer lorsque je me faisais doubler. Je me souviens de la nausée à chaque fois que le soleil apparaissait au milieu du voile de nuage.

 

Finir le premier semi-marathon avant de s’autoriser à marcher.

Passer le 30ème kilomètre avant de s’autoriser à marcher.

Puis aller chercher chaque ravitaillement, avec toute ma volonté, sans marcher, quitte à ralentir encore ma course.

Sentir les crampes qui naissent sur un appui et s’évanouissent avant le suivant, sans jamais s’installer, sans jamais me stopper.

Sentir cette tendinite sur la face antérieure de la cheville, qui m’embête depuis plus de 2 mois, et que je ressens depuis le 40ème kilomètre à vélo.

 

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Fin du 3ème aller-retour. De moins en moins d'amplitude dans la foulée, mais je cours toujours.    

 

Calculer les temps de passage nécessaire pour rester sous les 11 heures.

Douter, compter, s’évader mentalement, puis recompter, reprendre espoir.

Enfin, apercevoir les tentes des derniers ravitaillements, retrouver un semblant de lucidité.

Les supporters de la zone d’arrivée, la visière que l’on remet droite pour la photo de l’arrivée.

La contre-allée de l’arrivée, la dernière ligne droite.

Brice, un jeune du club, qui m’attend pour passer la ligne avec moi.

Les dernières grimaces de souffrance, paradoxalement combinée avec un sentiment de satisfaction.

 

Et enfin la ligne, sur laquelle je lève péniblement les bras. Je ne m’effondre pas immédiatement. Je fais quelques pas. La médaille finisher. Les félicitations. Mes remerciements. Puis je m’assoie pour soulager mes jambes. Je suis bien. Je plane un peu.

 

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Félicité à l'arrivée, j'ai du mal à profiter. Difficile de dire si la satisfaction de ne pas avoir marché domine la déception de ne pas atteindre l'objectif chronométrique.

 

Je regarde autour de moi, il n’y a que des athlètes dans la force de l’âge, en forme, sans surpoids. Je ne suis plus dans le « ventre mou » du classement comme à Embrun.

 

Vient le moment de se relever. Ma tendinite a gagné en intensité pendant que je me refroidisais. Il faut aller rendre la puce, récupérer le t-shirt « Finisher », puis traverser le très long parc à vélo pour récupérer les sacs de transition et le vélo. Beaucoup de difficultés pour quelques centaines de mètres après une journée à plus de 220 km…

 

Enfin, avec le vélo, je peux circuler sans la douleur de ma tendinite. Je rejoins les supporters et les premiers arrivants du club pour échanger sur nos impressions et encourager nos derniers partenaires. La nuit tombe alors que les derniers arrivent, après des efforts parfois stupéfiants, aux limites de leurs capacités, de leur volonté.

 

Nous sommes 25 du club à arriver au bout. Record égalé pour un club français. Et nouveau record pour un club français 100% amateur.

 

Au niveau personnel, je suis loin de l’objectif des 10 heures. Je finis en 10h48min40s. 319ème sur 2148 partants et 2054 arrivants. 37ème de ma catégorie.

  • En natation, 1h00min04s. 158ème temps et 15ème de ma catégorie. Au-delà de mes espérances.
  • Transition natation-vélo : 3min54s
  • A vélo, 5h22min12s. 138ème temps et 15ème de ma catégorie. La encore, légèrement plus rapide que ce que j’espérais.
  • Après les deux premières disciplines, je suis aux environs de la 90ème place, à la 13ème de ma catégorie, avec 12min de retard seulement sur le 3ème de ma catégorie.
  • Transition vélo-course : 4min56s
  • A pied, 4h17min32s. 830ème temps et 87ème de ma catégorie. Presque 1h de plus que ce que j’espérais…

 

Pour comparaison, un triathlète que j’avais doublé dans les derniers kilomètres du triathlon de Palavas, et qui avait terminé juste derrière moi, termine 55ème en 9h45. Le dernier qualifié pour Hawaii dans ma catégorie termine en 9h37. Il pose le vélo 3 minutes devant moi…

Tag(s) : #Ironman France 2012