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Chère lectrice, cher lecteur,

Comme moi il y a quelques mois, tu ne sais probablement pas exactement comment fonctionne un système immunitaire humain. C'est pourtant un sujet passionnant ! L'évolution a conçu un dispositif remarquable dont la connaissance permet de comprendre par exemple le fonctionnement des vaccins ou encore la situation des personnes qui ont récemment reçu une allogreffe de moelle osseuse. Je vais tenter d'expliquer simplement les mécanismes d'action des globules blancs et de (re)-constitution de l'immunité puis ce que cela implique pour moi.

 

Un globule blanc, à quoi ça sert ?

La moelle osseuse produit une grande diversité de globules blancs. Classés selon leurs processus de différenciation :

- des polynucléaires ou granulocytes : neutrophiles, basophiles ou éosinophiles

 - des mastocytes

- des monocytes : macrophages ou cellules dendritiques

- les lymphocytes : lymphocytes B, T (comme "Thymus", j'y reviendrai) et Natural Killer (NK)

Pour mon lectorat lusitanophone, j'ajoute un petit schéma de l'hématopoïèse humaine :

Mercredi 20 décembre : Il était une fois... le système immunitaire

Ils remplissent des fonctions de différentes natures. Celles qui nous intéressent ici sont :

- La phagocytose, c'est à dire l'action d'ingérer et détruire des particules diverses (cellules altérées, microbes ou autres particules étrangères à l'organisme), ou d'autres mécanismes de destruction de cellules particulières.

- L'activation, la régulation ou le soutien à d'autres réactions immunitaires

Certaines cellules remplissent ces deux catégories de fonctions.

 

On distinguera plusieurs types d'immunité :

L'immunité non spécifique à l'agresseur, dont les acteurs principaux sont les granulocytes, les mastocytes, les monocytes et les lymphocytes NK. C'est la première à entrer en action et elle peut être suffisante.

Lorsque la réaction non spécifique n'a pas suffi, l'immunité spécifique à l'agresseur va faire intervenir, en plus, des lymphocytes B et T. Ces lymphocytes sont capables de s'opposer à un antigène agresseur et un seul. En principe, la diversité de lymphocytes dans notre corps est telle qu'elle permet de s'opposer à tous types d'antigènes, selon deux types de mode d'action :

- L'immunité cellulaire. Si l'agresseur pénètre les cellules pour agir (comme le virus de la grippe), la cellule infectée présentera des marqueurs à sa surface, les antigènes. Elle sera alors reconnue comme étrangère à l'organisme et déclenchera une réaction en cascade faisant intervenir des lymphocytes T spécifiques à cet antigène, qui vont se multiplier et produire des lymphocytes T "auxiliaires" et "tueurs", qui patrouilleront dans l'organisme pour détruire les cellules infectées, ou seront conservés et constitueront une "mémoire" pour une réaction plus rapide en cas de nouvelle agression similaire. 

L'intervention d'un lymphocyte T tueur sur une cellule infectée.

L'intervention d'un lymphocyte T tueur sur une cellule infectée.

- L'immunité humorale. Si l'agresseur demeure à l'extérieur des cellules (tétanos, choléra par exemple), ce sont les lymphocytes B qui vont réagir à l'antigène, puis soit être stockés comme lymphocytes B mémoire, soit devenir des lymphocytes B producteurs d'anticorps circulants, spécifiquement dirigés contre l'antigène. Dès qu'ils rencontrent l'antigène agresseur, ces anticorps s'y lient et permettent l'intervention d'autres cellules tueuses qui neutralisent l'agresseur.

Reconnaissance des antigènes d'une bactérie par des anticorps spécifiques.

Reconnaissance des antigènes d'une bactérie par des anticorps spécifiques.

Un aspect à bien comprendre est que l'immunité adaptative nous protège contre un grand nombre d'agresseurs différents grâce à la très grande diversité des récepteurs des lymphocytes.

La grande diversité des récepteurs des lymphocytes T et B et des anticorps produits par les lymphocytes B est permise par un mécanisme de recombinaison de l'ADN au cours de la formation de ces cellules (certaines estimations donnent un ordre de grandeur du nombre de combinaisons possibles à 10^10).

Quand on tombe malade, c'est que l'immunité non spécifique n'a pas suffi, et qu'il faut quelques jours à l'immunité adaptative pour entrer en action et démultiplier la réaction grâce à l'intervention des lymphocytes spécifiques à un antigène de l'agresseur.

 

Après une allogreffe de moelle osseuse, que se passe-t-il ?

Généralement, avant une greffe, on procède à un traitement myélo-ablatif : on empêche le renouvellement des cellules de la moelle et du sang ou on les détruit directement. Juste avant la greffe, il ne reste quasiment aucun globule blanc, ce qui permet notamment au greffon de ne pas être rejeté par le système immunitaire du receveur et de ne pas être en concurrence lors de son installation.

Au moment de la greffe, on injecte un mélange de cellules souches, capables de recréer toutes les cellules sanguines, et de globules blancs, dont des lymphocytes, du donneur.  Les cellules souches vont permettre de recréer des cellules sanguines plus ou moins rapidement.

Les neutrophiles, acteurs principaux de la phagocytose, reviennent assez rapidement et atteignent en quelques semaines le seuil de 500 par mm3 de sang, qui marque la sortie d'aplasie et permet la sortie de l'hôpital. Le nombre de lymphocytes NK atteint également des valeurs normales 1 mois après la greffe. Les globules rouges et plaquettes arrivent quelques semaines après. D'autres globules blancs vont émerger progressivement, mais les cellules souches vont mettre du temps à recréer des lymphocytes B et T avec toute la diversité nécessaire à l'exercice de l'immunité adaptative.

Les lymphocytes B réapparaissent vers 2-3 mois, ce sont les mêmes que chez un nouveau-né (qui n'a jamais rencontré d'agresseur, donc n'a pas de lymphocytes mémoire). Leur nombre et leur diversité augmentent pendant 1 à 2 ans au mieux, et parfois beaucoup plus longtemps. Il en va donc de même pour les anti-corps.

Les premiers lymphocytes T réapparaissent généralement vers le 2e ou 3e mois. Mais dans un premier temps, ce sont des cellules clonées à partir des lymphocytes T du donneur, et principalement des cellules tueuses. Les lymphocytes T régulateurs réapparaissent un peu plus tard. Puisque ces clones proviennent d'un petit nombre de lymphocytes T du donneur, leur diversité reste alors faible.

Le greffé va commencer à produire des lymphocytes T présentant d'autres récepteurs à partir de 3 à 6 mois. Il utilisera alors une voie de production distincte du clonage : des cellules dérivées des cellules souches connaîtront une différentiation et une sélection au sein du thymus. Le thymus a notamment pour rôle de s'assurer que les récepteurs des nouveaux lymphocytes T ne sont pas spécifiques aux cellules de l'organisme, donc qu'ils ne l'agresseront pas. Mais le thymus s'atrophie à partir de l'adolescence. La productivité de cette voie de production décroit donc avec l'âge. Ainsi, si la diversité des lymphocytes T augmente significativement et progressivement à partir de 6 mois, il faut souvent plusieurs années pour retrouver une diversité quasiment normale.

Allure des courbes de reconstitution quantitatives des cellules immunitaires (En jaune : principales cellules de l'immunité non spécifique, en vert : lymphocytes B et T "tueurs", en  rouge : lymphocytes T "auxiliaires") - source : Journal Biology of blood and marrow transplant, 2009

Allure des courbes de reconstitution quantitatives des cellules immunitaires (En jaune : principales cellules de l'immunité non spécifique, en vert : lymphocytes B et T "tueurs", en rouge : lymphocytes T "auxiliaires") - source : Journal Biology of blood and marrow transplant, 2009

Quelles conséquences ?

L'immunité non spécifique retrouve rapidement une efficacité satisfaisante. Dans le cas d'une greffe haplo-identique (compatibilité 5/10 au sein de la famille) comme la mienne, les cellules NK assurent notamment un rôle anti-tumoral dès la fin du 1er mois et peuvent réduire le nombre de cellules leucémiques résiduelles.

L'immunité spécifique humorale est en revanche diminuée tant que la concentration en anticorps et leur diversité ne sont pas retrouvée, soit au mieux 1 à 2 ans après la greffe.

L'immunité spécifique cellulaire est également diminuée tant que la diversité des lymphocytes T n'est pas retrouvée, soit jusqu'à plusieurs années après la greffe.

Pour l'immunité spécifique humorale et cellulaire, la mémoire doit dès lors se recréer, notamment par les vaccins qui sont réalisés progressivement entre 3 mois et 2 ans après la greffe, ou par l'exposition aux différents agresseurs.

Dans les premières années, le greffé peut donc tomber malade facilement, au même titre qu'un nouveau-né qui n'a pas encore de mémoire immunitaire, mais potentiellement gravement si son organisme n'est pas en mesure de s'adapter à l'agresseur faute d'avoir encore développé les lymphocytes qui y sont spécifiques.

Par ailleurs, dans les premiers mois de greffe, les lymphocytes T sont hérités du donneur. Ils ont été sélectionnés au sein de l'organisme du donneur (au sein de son thymus) pour reconnaître uniquement des cellules étrangères au donneur. Ils peuvent donc reconnaître les cellules du receveur comme étrangères. Les lymphocytes T sont alors activés, se multiplient et cherchent à éliminer les cellules du receveur. C'est l'inverse des réactions de rejet que l'on trouve pour d'autres greffes d'organes, où le système immunitaire du receveur s'attaque à l'organe greffé. Ici, c'est le greffon qui lutte contre son hôte, un effet appelé GVH (Graft versus host). Le premier organe ciblé semble être ce qui reste de la moelle osseuse d'origine du greffé, créant ainsi un effet anti-leucémie souhaitable (GVL : Graft versus leukemia). Mais les lymphocytes T peuvent ensuite provoquer une agression de la peau, des poumons, du système digestif, voire d'autres organes. On parle alors de la maladie du greffon contre l'hôte.

Cette maladie peut apparaître rapidement (dès les premières semaines après la greffe) ou plus tardivement (jusqu'à plus d'un an). Elle est d'une sévérité variable et potentiellement mortelle. C'est pourquoi un immuno-suppresseur est systématiquement prescrit pour les 3 premiers mois après la greffe, et éventuellement ensuite si la GVH est sévère. Cette immuno-suppression renforce en revanche l'exposition aux infections et accroît le risque de rechute. Elle doit donc être dosée pour minimiser l'ensemble des risques. La GVH s'atténue et disparaît lorsque les lymphocytes sélectionnés au sein du thymus du receveur remplacent les lymphocytes clonés à partir de ceux du donneur.

 

Illustration de l'importance de bien doser l'immunosuppression (courbe violette) pour minimiser les risques - source : réalisation personnelle

Illustration de l'importance de bien doser l'immunosuppression (courbe violette) pour minimiser les risques - source : réalisation personnelle

Et pour moi ?

Sensibilité aux infections

J'ai été infecté par le parasite de la toxoplasmose avant ma greffe (comme la majorité de la population), sans jamais présenter de symptômes. Les parasites ont néanmoins subsisté au sein de kystes dans certains organes (muscles, yeux...). Mais la baisse de mon immunité et l'ouverture d'un kyste ont permis au parasite de proliférer à nouveau, et je me suis réveillé un matin, début novembre, avec une tache noire dans le champ de vision de mon œil droit.

Heureusement, l'infection a été rapidement traitée et d'autres organes plus sensibles(comme le cerveau) n'ont pas été touchés. Le traitement a été complété par une transfusion d'un mélange d'anticorps de plusieurs donneurs (incluant donc nécessairement des anticorps compétents contre la toxoplasmose).

Prévention de la rechute

Mon immuno-suppression a été rapidement réduite dans les 3 premiers mois jusqu'à être arrêtée début décembre. Cela visait à laisser le système immunitaire s'exprimer dès que possible contre les cellules leucémiques résiduelles. L'effet anti-leucémie a été renforcé par des cures de chimiothérapie. Jusqu'à présent, les 3 analyses mensuelles n'ont pu détecter aucune trace de cellules leucémiques.

Maladie du greffon contre l'hôte (GVH)

Après l'arrêt de l'immuno-suppression, j'ai rapidement commencé à avoir des éruptions cutanées sur le visage, d'abord légères, puis plus marquées, s'étendant au cou et aux épaules dans un premier temps, puis discrètement aux bras, aux mains et aux jambes. Cela ressemble à la maladie du greffon contre l'hôte. Elle est pour le moment très légère et ne justifie pas de traitement. C'est plutôt une bonne nouvelle, car cela pourrait indiquer que le système immunitaire a également attaqué les quelques cellules résiduelles de mon ancienne moelle osseuse, incluant les cellules leucémiques. Toutefois, si les réactions continuent à se développer, il faudra lancer un traitement incluant une nouvelle immunosuppression.

Si cette maladie du greffon contre l'hôte ne se confirme pas, on me transfusera des lymphocytes de mon donneur (mon frère), pour accentuer l'effet anti-leucémie. Les doses seront minimes pour ne pas risquer de créer une trop forte GVH.

 

En résumé, je dois continuer à être très vigilant face aux infections, à être attentif au développement de la GVH, et éventuellement poursuivre les traitements par chimiothérapie et transfusion de lymphocytes du donneur pour renforcer l'effet anti-leucémie et donc minimiser le risque de rechute.

La route est encore longue avant de retrouver liberté et autonomie totales, mais jusqu'à présent le processus thérapeutique se passe très bien !

Tag(s) : #Leucémie